Du Parc National de la Maiko au Parc National de Kauzi-Biega, en passant par ceux de Garamba et Virunga ainsi que la Réserve de Faune à Okapi,…, en République Démocratique du Congo (RDC), les aires protégées sont aujourd’hui une plaque tournante du trafic illégal des ressources naturelles. De l’exploitation des minerais au trafic des animaux sauvages, tout s’y pratique, faisant de ces forêts classées de « garde-manger », de cachette, mais aussi et surtout de couloir pour un trafic illégal et sans risque. On se penche spécialement sur le trafic du coltan, or et cassitérite dans ce troisième volet d’une série de reportages d’investigation qui visent à découvrir la chaîne d’approvisionnement des minéraux illégaux provenant du Kivu avec des ingérences de milices locales et étrangères autour des aires protégées. C’est le reportage d’Hervé Mukulu en collaboration avec Didi Bunakima et Georges Kisando, réalisé avec l’appui de Rainforest Investigation Network/Pulitzer center.
« La situation géographique du Parc National des Virunga (PNVi) est l’un des facteurs nocifs qui font que le Congo souffre davantage des agressions étrangères. Avec le PNVi, nous partageons environs 300 km avec le Rwanda et l’Uganda. Sur toute la limite là, dans un pays qui se respecte, on devrait avoir des unités militaires très fortes », fait savoir Kule Thatha qui mène ses recherches doctorales sur la sécurité du PNVi. Créé en 1925, le Parc National des Virunga est le plus vieux parc d’Afrique, alors dénommé Parc Albert. Partageant la riche biodiversité que regorgent les chaines des Virunga, deux pays voisins se sont arrangés pour créer chacun à son coté un parc : du Volcan pour le Rwanda et le Parc National Reine Elisabeth pour l’Ouganda. Mais ce couloir écologique qui longe la frontière entre ces pays et la RD Congo ne facilite pas seulement le mouvement des animaux, mais il sert aussi des nombreux mafieux, civils, groupes armés et forces loyalistes, qui y trafiquent également des minerais, affirme cet expert des questions sécuritaires autour du PNVi.
Un business mafieux au tour des Virunga
Aujourd’hui, le faramineux Parc National des Virunga est un important foyer des groupes armés, et principalement les Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR), ces combattants hutu rwandais ayant trouvé refuge au Congo, après la chute de leur régime à Kigali, ainsi que des élements des Forces Démocratiques Alliées (ADF), un groupe d’origine ougandaise.
Pour le Professeur Nissé Mughendi, enseignant de géopolitique à l’Université Catholique du Graben de Butembo (Nord-Kivu), si au début, les ADF et FDRL avaient la vision de reconquérir le pouvoir dans leurs pays d’origine, depuis plusieurs décennies, elles n’ont plus l’intention de rentrer puisqu’ils ont pris du gout aux ressources des Virunga. Ils y ont trouvé de quoi survivre et de quoi s’enrichir d’ailleurs, constate ce spécialiste des questions sécuritaires.
Les FDRL contrôlent environ 10% du Parc National des Virunga dans le territoire de Rutshuru et survivent grâce au business de makala qui représente 40 à 50 millions de dollars américains annuellement, révèle un rapport de Enough Project qui note, par ailleurs, que 92 % de charbon de bois utilisé dans la province du Nord-Kivu provient de ce parc.
« Les ADF ont découvert des carrés miniers dans la partie nord du Parc National des Virunga, le long de la rivière Semuliki. Ils exploitent et ça les aide à résister et à faire du business », soutient le Professeur Nissé Mughendi qui documente la dynamique des conflits dans l’est du Congo.
Aux abords comme dans au sein même de ce parc, sont entretenus des carrés miniers, où sont extraits de l’or ou du coltan.
Pourtant les gestionnaires du parc ne le voient pas de cette façon. Notre demande d’entretien a été transmise, mais sans réponse. « Le Parc National des Virunga n’est pas une zone minière et puis, ce que font les FDLR dans la partie qu’elles contrôlent, nous n’en savons rien car nous ne contrôlons pas cette partie.’, nous a cependant confié, dans l’informel, le service de communication.
Des frontières passoires !
La carte de l’IPIS montre que tous les minerais extraits dans les sites miniers situés dans les zones reculées sont acheminés dans les centres urbains frontaliers : Bukavu, Goma, Kalehe, Butembo, Beni,… et c’est de là que part l’exportation légale ou pas.
Dans un certain nombre de cas, l’exportation frauduleuse prend la même route que l’exportation légale. Evidemment, quand il s’agit du business de quelqu’un qui a de l’influence comme un commerçant associé à des acteurs politiques, administratifs ou militaires. Si pas les trois à la fois. Il suffit de sous-évaluer la qualité ou la quantité à déclarer et aucun contrôle ne sera fait car le produit appartient à quelqu’un de puissant. En effet, détenir une parcelle de pouvoir en RDC est comme un passeport pour tout se permettre.
Pour les citoyens lambda, c’est là que l’exportation prend autre forme. Il y a trois voix frauduleuses qu’on utilise régulièrement pour exporter les minerais. D’abord le système dit « kuchora ». Les propriétaires collaborent avec les petits commerçants qui utilisent les entrées poreuses entre Goma et Gisenyi dans le « Makoro » pour faire traverser les minerais de manière frauduleuse. En deuxième lieu, les négociants utilisent les personnes vivant avec handicap qui font le commerce transfrontalier pour faire traverser leurs marchandises car ils sont moins contrôlés à la frontière. Une fois de l’autre côté du pays, ils savent où déposer les colis.
Et enfin, il y a des négociants qui collaborent avec des officiers militaires des FARDC pour échapper aux taxes relatives à l’exportation. Ces militaires s’approprient les minerais et les font traverser à la douane sous leur influence. En contrepartie, les négociants leur donnent un pont-de-vin.
Cette porosité de la frontière marquée par la présence des forces armées facilite un double trafic, les armes et les minerais car les premières permettent d’avoir accès aux seconds.
Du Rwanda ou en provenance des autres cités congolaises, les minutions traversent aussi par pirogues comme les minerais et sont récupérés dans des cités comme Vitsumbi, Kyavinyonge par leurs propriétaires. De là, si la destination doit traverser une ville comme Butembo, ces armes sont chargées dans des camions qui transportent des produits vivriers avec consignes clairs aux agents complices au niveau des barrières de contrôle. Ces genres de camions ne sont pas fouillés.
« Est-ce que tu sais qu’une arme AK 47 revient à 50 dollars ici en ville de Butembo ? Une boite de 1000 cartouches à 250 dollars. Et ça se vend ici en ville de Butembo. A ce prix, il suffit de quelques armes pour contrôler un village, un carré minier que de s’encombrer avec toute la bureaucratie à la congolaise et les coûts financiers y afférents. », me dit, sous anonymat mon interlocuteur, expert des questions sécuritaires. En septembre 2017 durant les procès contre les ADF capturés, Schadrack Kakule déclarait au procureur feu Général Munkute, dans ce procès en audience foraine en ville de Beni, « qu’en RDC, il est plus facile de se procurer un AK 47 qu’un calibre 12 pour faire la chasse. »
Le Rwanda, comme indiqué ci-dessus, est la voie privilégiée pour le commerce illicite de ces minerais, principalement le coltan. Contrairement au gouvernement congolais, il ne taxe pas les importations des minerais et la législation du pays permet aux marchandises importées d’être reconnues comme des marchandises rwandaises si elles subissent une transformation ultérieure dans le pays avec au moins 30 % de valeur ajoutée.
En 2018 et 2019, les prix moyens étaient de 23,85 USD/kg en RDC et de 36 USD/kg au Rwanda. Selon le pourcentage de concentré de tantale dans le coltan, le minerai se négociait en RDC entre 35 et 52,5 USD/kg en 2021, tandis qu’au Rwanda, le prix se situait entre 52 et 65 USD/lb (0,5 kg) la même année. Selon l’agence ecofin, 90 % du coltan exporté par le Rwanda est issu de l’exportation frauduleuse du Congo.
Ces minerais de sang construisent des villes à l’étranger. « Kigali n’est pas construite avec la richesse du Rwanda, ce sont les ressources de la RDC », soutient monsieur Célestin Bamwisho Bwira Bivuya, ancien cadre du service DDRR. Il est soutenu par le Professeur Nissé Mughendi en affirmant que cette exploitation des minerais par les groupes armés étrangers ne bénéficie pas qu’à ces groupes armés : « Les FDLR exploitent les minerais, pour les exporter, ils le vendent à des officiels rwandais ou des proches du régime au Rwanda qui, eux, les blanchissent et en font une partie de l’économie du Rwanda. La même chose pour ce que les ADF peuvent exploiter dans la région de Beni que ça soit de l’or, du cacao ou du bois, ça transite toujours par l’Ouganda. Et c’est l’Ouganda qui en bénéficie en termes d’économie globale du pays. Ce qui peut justifier le fait que ces Etats ne s’impliquent pas vraiment à trouver une solution. »
« Pendant 5 cinq ans, le Rwanda est venu au motif qu’ils poursuivaient les FDLR, mais tout le monde sait qu’en lieu et place de poursuivre les FDLR, le Rwanda est sorti premier producteur du coltan et d’autres minerais. La guerre à l’Est est économique. » a twitté Son Excellence Monsieur Julien Paluku Kahongya, Ministre congolais de l’industrie et ancien Gouverneur du Nord-Kivu de 2007 à 2018.
Une intrusion régulièrement dénoncée ces derniers temps par le Président Felix Tshisekedi auprès de ses partenaires du haut de la tribune des Nations Unies, de l’Union Africaine aux organisation régionales comme le SADC, CEAC , CIRGL et la Est African Community, mais aucun de ces Etats partenaires ne condamne ni ne prend des sanctions fermes contre le Rwanda ou l’Ouganda.
La raison est simple pour le Chercheur Kule Thata : la RDC n’a pas de poids sur l’échiquier international vu les faiblesses de son armée. Pour l’Archevêque de Bukavu, la raison est ailleurs. Les grandes puissances n’ont pas besoin d’un pouvoir fort au Congo. Les grandes puissances ont besoin d’un Congo faible pour se permettre tout, comme le disait Mzee Laurent Désiré Kabila. Il y a plus de complicité de certains et de la naïveté, de la légèreté du coté congolais. « C’est pourquoi, les groupes armés ne sont que les instruments des politiciens et des groupes multinationaux. On les utilise pour ne pas investir légalement au Congo », soutient Mgr Sébastien, président de la Commission des Ressources Naturelles au sein de la Conférences Episcopale Nationale du Congo, CRN-CENCO.
En effet sur le plan international et régional, la RDC et ses pays voisins ont déjà signé des accords visant à règlementer le secteur minier, mais vu ce qui se passe encore à l’Est de la RDC, ces mécanismes ont jusque-là échoué.
Il existe plusieurs procédures de certification, portées par des institutions différentes : l’International Tin Research (ITRI) pour l’étain, le Bundesanstalt für Goewissenschaften un Rohstoffe (BGC ou Service Geologique Allemand) pour le tentale, la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL) pour les ressources de l’ensemble de la région en plus des certificats nationaux pour la RDC. Ainsi, l’Organisation pour la Coopération et le Développement Economique (OCDE) s’est proposé de coordonner ces procédures et de les mettre en accord avec les règlementations nationales des puissances clientes. Notamment la loi Dodd-Frank Act aux Etats-Unis et une possible future initiative comparable de l’Union Européenne.
Ces mécanismes qui ont échoué car même l’International Tin Research (ITRI) vanté pour sa réussite dans la certification des minerais rwandais, un groupe d’expert des Nations Unies montre dans un rapport que le Rwanda et l’ITRI certifient des minerais illégalement importés de la RDC.
De par même la convention de Vienne de 1969 qui voudrait que tous les traités soient exécutés de bonne foi (Pacta sunt servanda), c’est donc une obligation pour chaque État d’appliquer les dispositions issues d’un accord ou un traité international, explique Maître Mulumbi Jackson, avocat environnementaliste résident à Goma.
Toutefois, cet auteur du livre « Les arbres et les forêts de la République Démocratique du Congo: des perles mondiales à protéger par la paix » suggèrent que : « nos procureurs et auditeurs militaires, dans la mesure où ils pourraient se rappeler de leur rôle de veiller sur le respect dû à la loi, devraient arrêter pour rébellion (cf. art. 133 et 134 du code pénal livre II) tout réfractaire aux traités internationaux engageant la République Démocratique du Congo. »
Penser que la RDC va demander au Rwanda et à l’Ouganda d’indiquer la source de leurs exportations, c’est une entreprise beaucoup plus périlleuse que de travailler à la réduction de la porosité des frontières congolaises. « Et ça la RDC peut le faire sans provoquer d’incident diplomatique. Ces pays ne peuvent exporter des produits qui n’ont pas traversé. S’ils peuvent traverser, c’est en partie notre faute. La solution doit être trouvée en RDC. », suggère le Professeur Nissé Mughendi. Si pour le Professeur Nissé, la solution est ainsi militaire en plus d’un Etat fort, le chercheur Kule Thata pense qu’il faut plutôt ériger un mur en cette frontière en laissant des couloir écologiques qui peuvent être contrôlés.
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