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Le « qui-vive » des femmes journalistes après la fermeture de leurs organes de presse faute de sécurité (Est de la RDC)

Le « qui-vive » des femmes journalistes après la fermeture de leurs organes de presse faute de sécurité (Est de la RDC)

En territoires de Beni au Nord-Kivu, Mambasa et Irumu en Ituri, dans l’Est de la RDC,   de nombreuses femmes journalistes n’ont plus de travail et se retrouvent dans la rue après l’incendie ou la fermeture de radios où elles prestaient. Dans ces territoires qui d’ores et déjà connaissent un taux très insignifiant de présence des femmes journalistes dans les médias, les atrocités commises par les rebelles ougandais de Forces démocratiques et Alliées,  (ADF) compliquent la donne pour cette catégorie professionnelle. Ici, des rebelles tuent et enlèvent des civils, incendient des villages entiers. Les maisons abritant les organes de presse ne sont pas épargnées par cette calamité. Obligées de fuir pour se mettre à l’abri après l’incendie et/ou la fermeture de leurs radios, certaines femmes se retrouvent dans la rue dans les agglomérations d’accueil, notamment à Oicha, Beni, Kasindi et Butembo. Pas facile de trouver qui leur donne une place dans son média, elles sont sur le qui-vive. 

Sylvie Mundama, la vingtaine révolue, était journaliste de la Radio du Pic Marguerite de Mwenda. Ce village est situé au Nord-est du secteur de Ruwenzori dans le territoire de Beni au Nord-Kivu. Depuis la fermeture de sa radio, suivie du pillage de ses matériels, en janvier 2020, elle erre sans aucune occupation dans les rues  de Nobili, cité frontalière avec l’Ouganda.

« Depuis que je suis arrivée, je me rappelle très bien que c’était le 17 janvier 2021, je n’ai pas trouvé de place dans une radio ici localement. Je suis là depuis plus d’une année sans rien faire après que mes efforts d’intégrer une radio aient été vains », raconte-t-elle toute triste.

Comme elle, Joséphine Mwenyighulu, ancienne journaliste de la radio communautaire Maendeleo d’Eringeti, se trouve sans emploi à Oicha, chef-lieu du territoire de Beni. Elle a quitté Eringeti le 14 février 2021, après l’attaque du village de Ndalya, en Ituri. Cette attaque avait accentué la menace sur l’agglomération d’Eringeti, obligeant ainsi la radio à fermer ses portes. Selon elle, depuis tout ce temps, sa radio n’émet plus régulièrement à cause de l’insécurité.

«Chaque fois que je m’apprête à y retourner pour reprendre mon boulot, une nouvelle attaque surgit. Or, je n’ai pas d’autres occupations à Oicha, je suis là sans rien faire alors qu’à Eringeti, je pouvais gagner quelque chose par mon métier de journaliste », déplore Joséphine Mwenyighulu.

Très récemment, soit le 03 décembre 2021, la Radio Communautaire Maendeleo d’Eringeti a encore fermé ses portes suite à une attaque armée attribuée aux rebelles ougandais de l’ADF au Nord de cette agglomération. Cette attaque avait fait 5 morts et plusieurs blessés, selon les chiffres de la société civile locale.

Autant que pour plusieurs médias du territoire de Beni où sévissent les atrocités des groupes armés, en particulier les ADF, les médias des territoires d’Irumu et Mambasa en Ituri sont également affectés par cette situation.   Nombreuses femmes, après s’être bien formées pratiquement, se retrouvent actuellement en errance suite à la fermeture de leurs radios après des attaques attribuées aux rebelles de l’ADF.

« Nous avions quatre femmes journalistes chez nous avant la fermeture de notre radio,  le 1er octobre 2021. Il s’agit de Nathalie Lassi, Dorcas Munguromo qui sont présentement à Bunia, Rebecca Duara qui est à 51 Kilomètres (ndlr un village d’Ituri) et Sifa Florence qui est restée ici avec nous », dénombre Muno Omvuzo, Directeur de la radio Amani de Komanda, en territoire de Mambasa.  

Il regrette que toutes ces femmes journalistes qui ont quitté sa radio ne travaillent pas là où elles se sont réfugiées.

« Certaines manifestent la volonté de revenir travailler, mais la situation qui les avait obligées de fuir persiste encore. Entretemps, nous-mêmes nous vivons la peur au ventre parce qu’à n’importe quel moment, nous pouvons encore rester debout jusqu’à ce que la situation se stabilise », poursuit-il.

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Sarah Kamwisi, 25 ans, est vendeuse dans une alimentation à Matonge, ville de Beni,  après la fermeture à maintes reprises de sa radio à Lume, dans le secteur de Ruwenzori, en territoire de Beni. Vendeuse depuis bientôt un an, elle n’a pas encore assumé ce nouveau métier de boutiquière parce que passionnée de journalisme.

« Tous mes parents savent bien que j’ai de la passion pour la radio, mais à notre arrivée à Beni, mon oncle m’a trouvé ce nouveau job et je ne sais pas comment m’y prendre. Je suis donc ici malgré moi. Je pense d’ailleurs que je ne saurai pas y rester longtemps», déclare-t-elle.

 Sarah est, certes une débutante, mais selon le chef des programmes de sa radio de Lume, elle était douée et avait des aptitudes et capacités à apprendre le métier de journalisme si vite.

«Elle a du talent qu’il suffisait simplement de forger ou de booster pour faire d’elle une bonne journaliste. Non seulement elle a une bonne diction française, mais aussi elle était rattachée aux événements d’actualité. Mais, bon, comme toutes les autres, elle s’est arrêtée quand nous avons été menacés par l’insécurité », témoigne Germain Vagheni, Chef des programmes à la radio communautaire Lume.

Il en est de même pour Joséphine Mwenyighulu, journaliste de la radio communautaire Maendeleo d’Eringeti. Elle a tenté d’embrasser la carrière d’enseignante quand elle est arrivée à Oicha en provenance d’Eringeti, mais son temps à l’école n’a été que de courte durée. Elle avance comme raison le mauvais traitement salarial dont sont victimes les enseignants non pris en charge par le gouvernement. Elle tient toujours à trouver une radio à Oicha pour se faire embaucher.

« J’ai déjà adressé ma demande au directeur d’une des radios d’ici, mais la réponse traîne. Je ne sais pas s’ils vont m’accepter mais j’espère que je finirai par trouver une place dans une radio  parce que je ne sais pas me retrouver ailleurs qu’à la radio », a-t-elle affirmé.

Quand le dépaysement et l’adaptation familiale s’invitent

Selon l’assistant Delphin Manzalo, sociologue et enseignant à l’Université de l’Avenir du Congo, UAC fonctionnement à Beni, la plus grande difficulté à laquelle sont confrontées  ces femmes journalistes, c’est l’adaptation dans les familles d’accueil dans les villes où les agglomérations de refuge. Ses propos sont soutenus par le journaliste Wema Kennedy, formateur, activiste et défenseur de la liberté de la presse vivant à Butembo, au Nord-Kivu.

« Le réel problème, c’est le dépaysement, c’est-à-dire une fille qui quitte Mutwanga pour  Goma ne peut pas se retrouver facilement dans un média. C’est un facteur culturel important qu’il faut prendre en considération. Mais aussi, la famille qui va l’accueillir…Si ses parents de Mutwanga avaient accepté qu’elle devienne journaliste, est-ce que chez son oncle qui l’accueille, on va accepter qu’elle fasse ce même travail ?,…de rentrer trop tard à la maison après le journal de 20heures par exemple ?, de se réveiller très tôt pour se rendre à la radio ? Non, ça peut faire à ce que les conditions familiales et culturelles ne le leur permettent pas », explique Wema Kennedy.     

C’est ainsi que la plupart d’entre elles sont obligées de se plier aux conditions qu’on leur impose dans leurs familles d’accueil. Ces femmes font aussi face au dépaysement, poursuit Wema Kennedy.

« C’est la même chose pour une fille qui quitte Komanda pour Butembo. Komanda est une petite cité où elle peut sortir de la maison et arriver directement à sa radio. Mais quand elle arrive à Butembo et qu’elle  va rester à Katwa, elle veut intégrer la radio Moto Butembo-Beni qui se trouve à l’extrême Nord de la ville. Déjà, il se pose un problème de transport de Katwa jusqu’à Kambali », démontre ce journaliste-formateur.  

Et alors, à quel saint se vouer ?

Le journaliste Wema Kennedy conseille aux femmes journalistes de Beni-Ituri qui fuient la guerre de trouver refuge dans les zones sûres où elles peuvent s’adapter facilement.

« Quand tu migres, il faut te rassurer que tu migres dans une zone où tu as des connaissances et où tu peux t’adapter aisément. Et, en choisissant la famille qui va t’accueillir, s’il faut la choisir évidemment, c’est de bien expliquer son travail en disant clairement que moi je suis journaliste et je voudrais poursuivre mon travail de journaliste. A ce moment-là, il faut qu’on comprenne que tu peux rentrer tard et quitter tôt », conseille-t-il.

De son côté, Jack Maliro Katson, journaliste et chercheur en communication, estime également que le travail de journalisme ne peut être réduit aux simples  pratiques de présentation des journaux à la radio ou à la télévision.

« Il y a une mine d’opportunités, à plus forte raison pour les femmes journalistes. Elles peuvent travailler avec des médias en ligne spécialisés dans l’environnement, la paix, le genre,…et y gagner leur vie à travers des piges ou encore remporter des prix. Il y a aussi le journalisme d’investigation pour lequel elles peuvent se donner et continuer à gagner leur vie sans forcément se rattacher à une radio. Il est vrai que cela demande de l’énergie et du courage »,  ajoute ce chercheur.

Des chiffres alarmants

Selon Muhindo Mapenzi Pascal, vice-président de l’Union nationale de la presse du Congo UNPC/section de Beni et président de la Corporation des Médias du Territoire de Beni, CMTB, plusieurs radios communautaires se sont vues obligées de fermer leurs portes à cause des menaces. Ce sont surtout des radios se trouvant dans les agglomérations souvent attaquées par des miliciens Maï-Maï et des rebelles ougandais ADF à l’instar de Mbau, Mantumbi, Mamové, Eringeti et Mwenda, agglomérations situées au Nord et à l’Est de la ville de Beni.

Début 2020, la radio du Pic Marguerite de Mwenda dans le secteur de Ruwenzori, à l’Est de Beni a fermé ses portes après avoir subi des menaces de la part des personnes s’identifiant comme des combattants ADF. Son directeur et tous ses journalistes avaient fui cette zone pour se mettre à l’abri.

« Jusqu’à maintenant, la radio du Pic Marguerite n’a pas encore commencé à émettre. Ils ont déjà démonté tous les matériels,  parce que tous ces villages Mwenda, Loselose et Nzenga continuent à être attaqués par les combattants ADF. Tous les journalistes et une bonne partie de la population ont déjà vidé la contrée craignant pour leur sécurité », affirme Ricardo Rupande, point focal de la sous corporation des médias du secteur de Ruwenzori et Directeur de la radio Ruwenzori Voice radio, RVR émettant à Mutwanga. Il ajoute que même sa radio a dû fermer ses portes dans les circonstances similaires

« Notre radio, la RVR a aussi fermé en décembre 2020 juste après l’enlèvement de notre journaliste Pius Manzikala par les combattants ADF. Cet acte nous a vraiment effrayés au point de nous obliger à fermer les portes. Nous avons démonté tous nos matériels, y compris ceux de la station relais de Pole FM de Goma qui étaient implantés dans nos installations. Mais, depuis un certain temps, nous avons repris grâce à une petite accalmie ce dernier temps, mais la peur est toujours là », ajoute Ricardo Rupande.

L’instauration de l’état de siège début mai 2021 n’a pas contribué à faire diminuer le volume des exactions commises à l’encontre de la presse. Très récemment en ville de Beni, le journaliste Jonathan Kataliko de la radiotélévision Rwanzururu a été menacé de mort par des militaires FARDC commis à la garde du porte-parole du gouverneur militaire du Nord-Kivu pour avoir tenté de s’informer sur la cause de l’arrestation d’un homme à la mairie de Beni. Le confrère a été agressé et empêché d’accéder à l’hôtel de ville de Beni  où il devait obtenir des informations y relatives. En juin dernier également dans l’Ituri, un homme en tenue militaire avait menacé de mort le directeur de la radio communautaire de Biakato, Parfait Katoto, pour avoir diffusé un reportage sur les exactions commises par des FARDC sur des civils. À  peine quelques semaines plus tard, le reporter Daniel Michombero a lui aussi été menacé de mort par sept hommes cagoulés et vêtus de l’uniforme des FARDC qui s’étaient introduits à l’intérieur de son domicile à Goma, dans le Nord-Kivu.

D’après RSF, la RDC occupe actuellement la 149ème place sur 180 pays au classement mondial de la liberté de la presse établi en 2021.

 

Jackson Sivulyamwenge

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