Santé

Nord-Kivu : ces plantations des eucalyptus qui chassent les petits producteurs, à la base de la malnutrition en zone de santé de Musienene

La zone de santé de Musienne, sise en territoire de Lubero et frontalière avec la ville de Butembo, compte plus de 350 mille habitants qui vivent généralement de l’agriculture. Une activité confrontée à plusieurs défis dont majeurs est l’accès à la terre.  Des puissants hommes d’affaires, habitant la ville commerciale de Butembo, se sont déjà accaparés des vastes étendues de terre dans lesquelles ils plantent des eucalyptus dont l’impact sur la fertilité du sol est considérable. Pour ce fait, les petits producteurs, n’accèdent plus facilement à la terre, seule ressource pour nourrir leurs familles. Celles-ci sont exposées à la malnutrition suite à cette situation. Ces problématiques de l’accès à la terre et la prise en charge de la malnutrition en zone de santé de Musienene ont été décortiquées par Georges Kisando Sokomeka à travers ce grand reportage.

 

En quittant la ville de Butembo par sa partie Sud et en empruntant   la Route Nationale II, on se retrouve en face des vastes plantations couvertes d’eucalyptus. Ces arbres sont adulés par les concessionnaires pour plusieurs raisons : une alternative face à l’infertilité du sol ; sa   croissance rapide pour servir de bois de chauffage, principale source d’énergie dans la région ; une fois qu’ils atteignent une certaine hauteur, la plantation n’exige plus une main d’œuvre coûteuse pour son entretien, explique monsieur Kasereka Sylvestre, l’un des concessionnaires de la chefferie de Baswagha, chef-lieu Musienene, localité sise à 17 Km de la ville de Butembo.

« Nous avons un terrain d’environ trois kilomètres carrés mais qui n’est pas exploitable. Il s’agit d’un terrain rocailleux, c’est pour cela qu’on y plante des arbres pour le fructifier.  Les eucalyptus sont préférables car ils nous permettent de construire nos maisons »

Le Chef de Travaux Wasukundi Sorel, chercheur en aménagement des écosystèmes et enseignant à l’Université Catholique du Graben, fait savoir que les eucalyptus remplacent les cultures vivrières car, aux yeux des exploitants, ils sont plus rentables.

« Logiquement les eucalyptus sont plus rentables que les cultures vivrières tel que pratiqué ici localement. Les détenteurs des concessions foncières ont tendance à destiner leurs exploitations à la culture du bois. Parce qu’il garantit une production à long terme. Et on peut arriver à faire un projet qui est au moins consistant. Avec la culture des arbres contrairement à la culture des produits vivriers rentables et qui sert que pour une économie d’autosubsistance pour la survie des familles. Imaginez-vous un parent qui a un projet d’envoyer son enfant à l’université, il choisit de planter les arbres en vue de la réalisation de ce projet et il en a ceux qui ont réussi. Et actuellement il y a une dualité entre la plantation des eucalyptus et la plantation des produits vivriers. Par exemple à Butembo, et environs dépend généralement du bois comme source d’énergie. Et l’eucalyptus s’est déjà avéré comme une source d’énergie par excellence »

Un étalage de bois de chauffe pour la cuisson

@Crédit photo Georges K.

Le calvaire des petits producteurs 

Curieusement, les propriétaires de ces plantations font fi des services étatiques habilités en la matière, se plaint l’Ingénieur Gérôme Kasunzu, agronome de la chefferie de Baswagha.

« Les espaces que nous avons ici ou bien des concessions comme des espaces cultivables n’appartiennent plus à la population. La plupart appartiennent aux patrons qui viennent les acheter sans consulter   les services qui se chargent de la réglementation des terrains. Alors ils en font ce qu’ils veulent. Alors la population ne sait plus où cultiver »

 Madame Kavugho Mwatsi se sent obligée de parcourir des kilomètres à la recherche des rares terres arables. Cette mère de 10 enfants qu’elle supporte après séparation avec son époux, ne reste qu’avec un petit lopin de terre sur lequel elle pratique l’agriculture de subsistance. Ceci suite à la vente de la concession familiale par sa belle-famille. Pour atteindre son petit champ d’une surface de 25 mètres carrés, il lui faut deux heures de marche à l’aller et autant au retour. A la fin de la saison, elle ne récolte que quelques tubercules de patates douces, de quoi nourrir sa famille pour une semaine à peine. 

« Nous aimons faire le champ, mais nous n’avons pas du tout accès aux champs. Une partie a été vendue et une autre a été déversée aux coutumiers pour payer la redevance. Nos aïeux étaient des ignorants, ils ne devraient pas vendre la terre. Je cultive les patates douces et les maniocs, j’y cueille du sombé. Je n’ai pas personnellement une plantation d’arbres, pour le bois de chauffage, j’en achète auprès des voisins ; en fait, il n’y a plus d’espace cultivable dans la contrée ; même trouver un champ à prendre en location contre une poule, n’est plus possible »

L’insuffisance des superficies à cultiver, ne permet pas aux petits producteurs d’avoir assez de récolte pour faire des stocks suffisants et vendre le surplus afin de répondre aux besoins primaires. Bien plus le faible pouvoir d’achat, les limites à se procurer une alimentation équilibrée. Tel est le cas de madame Kavugho Mwatsi, dont le fils de quatre ans, souffrant de la malnutrition aigüe, est interné depuis une semaine à l’hôpital général de référence de Musienene. La veille de sa sortie de l’hôpital, elle fait une sorte d’aveu d’échec face à la recommandation lui formulée à enrichir l’alimentation de son fils et autres membres de sa maisonnée avec les fruits et légumes.

« Le personnel soignant nous recommande de lui donner plus de fruits, de bananes, de légumes, il lui faut également plus de sucre. Nous sommes incapables d’en trouver. Nous nous confions au Dieu des miracles »

Toute la zone de santé est  affectée 

Jadis, les cas de malnutrition venait exclusivement de la partie Ouest de la zone de santé de Musienene notamment dans des localités de Muhangi et Munoli. Curieusement, des nouveaux cas qui y sont enregistrés depuis un certain temps et sont référés de la partie Est généralement dédiée à la culture des maraîchères.  Depuis juin 2022, le service de pédiatrie de l’hôpital général de référence de Musienene a déjà enregistré plus de 100 cas, rien que pour la malnutrition aiguë, les cas de malnutrition modérée sont traités dans des postes de santé. Nguku Bertrand, nutritionniste au sein de cette structure.

 

« Dans le temps, ce sont les hôpitaux qui se chargeaient de la prise en charge, c’était vraiment une dépense au niveau des hôpitaux. C’est ainsi que grâce à la PCIMA qui est programme intégré de la malnutrition qui nous donne maintenant des intrants, c’est-à-dire, les moyens de supporter certains cas. Avant nous le faisions sans aucun sérieux.  Et dans la communauté les enfants étaient abandonnés à eux même car il n’y avait pas de relais communautaires et les enfants venaient au stade terminal pour venir mourir à l’hôpital. Nous avons dans le registre au moins deux cas de décès par mois et tous ces enfants venaient de la partie ouest de la Zone de santé mais actuellement ils viennent de partout dans la Zone de Santé. Et dans la partie est où on plantait des légumes mais ils ne sont plus là. On ne plante plus dans cette partie parce qu’il y a un problème d’espace cultivable. Il y a aussi un problème financier: la population préfère remplacer les produits maraîchers par les produits qui peuvent être vendus facilement sur le marché comme le manioc. A Masereka par exemple, on ne pouvait pas trouver les maniocs mais actuellement il y a plusieurs champs de Maniocs qui ont remplacé les champs où on plantait facilement les légumes.  Au moins le 3 quart de la zone de santé contient d’arbres un problème pour le secteur de la Nutrition »

 Heureusement le gouvernement congolais et ses partenaires en ont eu conscience avec le protocole de la prise en charge intégrée de la malnutrition aiguë, PCIMA, se réjouit Sœur Mathe Elisabeth, Médecin directeur de l’hôpital général de Musienene.  

« Nous avions un centre nutritionnel thérapeutique CNT, le centre nutritionnel thérapeutique a été remplacé par UNTI qui est l’unité nutritionnelle thérapeutique intensive, depuis que la malnutrition légère et la malnutrition modérée ont été prises en charge dans les centres de santé. Ça fait qu’à l’hôpital nous prenons en charge la malnutrition aiguë et sévère avec complications. Nous commençons ici à prendre en charge les enfants malnutris avec le lait thérapeutique étant donné que leur tube digestif est devenu incapable de digérer les aliments dures »

Des enfants souffrants de malnutrition sévère à Musienene @Crédit photo Georges K.

Des enfants souffrants de malnutrition sévère à Musienene

@Crédit photo Georges K.

   Les patients sont des indigents et ne parviennent pas du tout à honorer leur facture. Avec la rupture de certaines subventions ponctuelles des partenaires et du gouvernement, cette structure a déjà trouvé des mécanismes afin de soulager les patients souffrants de la malnutrition.

« Pour avoir ce lait thérapeutique ce n’est pas une petite affaire, parfois ou ponctuellement nous avons l’UNICEF, les projets de l’Union Européenne ; pour le moment nous n’avons pas d’appui pour la prise en charge des malnutris. L’hôpital s’arrange pour avoir une ligne budgétaire où nous pouvons acheter du lait Nido remplace le lait thérapeutique F100 et F95 et pour les petits nourrissons nous achetons le lait maternisé, le lait Guigoz nous l’achetons à l’hôpital ; la plupart des malnutris   étant des indigents    qui n’arrive pas à payer leur facture des soins médicaux, comme je venais de le dire l’hôpital peut juste leur acheter des intrants nutritionnels mais pour la prise en charge médicale, la famille doit, en principe leur payer la facture »

C’est encore possible 

Afin de réduire le taux de malnutrition dans la zone de santé de Musienene, des actions multisectorielles sont menées dans la communauté.  Des relais communautaires, des autorités sanitaires et celles de la chefferie de Baswagha mettent chacun la main à la patte. Au-delà des champs communautaires cédés aux indigents par la chefferie de Baswagha, pour y pratiquer l’agriculture familiale, des pépinières des légumineuses sont également entretenues et distribuées aux petits producteurs. La moisson est abondante, se félicite l’agronome de la chefferie.

 

« Ici à Musienene, le chou tient bien. Nous avons fait des expériences avec les agronomes de l’Institut Lumbya, on a fait la pépinière qu’on a vendu aux paysans, ils ont récolté.   Nous avons aussi notre petit champ, nous y avons fait quelques tiges de choux. Ça tenue et ça bien donné, il y avait une part qu’on a consommé et une autre qu’on a vendu ; en terme d’argent on a eu gagné aux environs de 80 dollars sur une superficie presque de deux parcelles».

Exploitations  des petits producteurs à Musienene 

@Crédit photo Georges K.

 Il est possible de concilier l’agriculture familiale et la culture de l’eucalyptus, conseille l’Ir Wasukundi Sorel. Identifier des espaces pour la culture de l’eucalyptus et en ce qui est des cultures vivrières, il préconise la rotation des cultures.

« Il est possible de faire ce qu’on appelle la rotation des cultures, donc on peut proposer une culture pendant une saison et une autre pendant l’autre saison ; il y a d’autres techniques comme l’association des cultures c’est-à-dire vous mettez deux cultures ou trois sur un même terrain, par exemple vous associez maïs et haricot, ça se fait chez nous déjà, vous associez patates douces et soja ; je ne saurais pas donner ici un modèle à suivre ; l’appel que je peux lancer aux agriculteurs c’est d’écouter les agronomes qui sont sur terrain, que ça soit les agents de l’Etat, que ça soit les agronomes qui travaillent pour les ONG,  ils sont quand même doté d’un paquet technologique qu’ils viennent proposer mais parfois les agriculteurs sont réfractaires aux innovations,   il faut qu’ils écoutent parce que chaque technique va aussi dépendre du contexte socio-économique, du contexte climatique et  écologique de la zone dans laquelle on se trouve »

Une lueur d’espoir pointe à l’horizon en zone de santé de Musienene dans la lutte contre la malnutrition. Jadis négligées par les petits producteurs, les vastes vallées de cette entité connaissent un engouement d’exploitants qui y expérimentent   la culture des légumineuses.  Les agents de santé tout comme les agronomes de la chefferie s’activent afin de conscientiser les producteurs à rationaliser l’affectation de la récolte.

Georges Kisando Sokomeka